TRAVAIL, COUPLE ET CRISE SANITAIRE
Interview de Véronique Grimaud, animatrice d’ateliers vie pro / vie privée
PlaceDuCouple : avec la crise sanitaire, le développement du télétravail, la crainte du chômage et l’incertitude de l’avenir, le rapport au travail change depuis quelques mois, comment les couples le vivent-ils ?
Véronique Grimaud : c’est en effet une situation inédite que les couples vivent de manière particulière et même singulière : pas 2 couples ne vont réagir exactement de la même façon ! Cela vient toucher l’organisation même du couple par rapport au travail.
Est-ce que seul l’un va travailler ? Est-ce que les 2 vont travailler et les enfants gérés par la collectivité ? Est-ce que l’un et l’autre alternent leur temps de travail pour offrir une plus grande présence parentale auprès des enfants ?
Ces choix la plupart du temps ont été décidés par le couple en fonction d’un contexte connu et jugé suffisamment stable pour se mettre dans cet équilibre de fonctionnement. Cette crise sanitaire vient brusquement bouleverser cet équilibre et elle va faire appel à la capacité d’adaptabilité et d’ajustement de chacun individuellement et du couple ensemble , ce qui peut amener de l’inquiétude, voire même de l’angoisse mais ce qui peut aussi renforcer la communication, la créativité, le sentiment de sérénité, de confiance en l’autre, et dans le couple.
PlaceDuCouple : dans les couples que tu accompagnes et les ateliers que tu animes, quels nouveaux défis perçois-tu pour les couples en lien avec le travail ?
Véronique Grimaud : le mot défi est bien approprié ! Et je dirais que le principal serait que le couple se sente confortable dans cette situation qui est plutôt inconfortable.
Je m’explique : par exemple beaucoup de salariés se sont retrouvés soudainement projetés dans le télétravail. Sans préparation, se retrouver tout d’un coup dans la sphère personnelle avec son travail cela peut vouloir dire simplement montrer son espace perso à des collègues lors d’une visioconférence. Se rendre compte de ce que je montre de mon intimité peut être gênant.
L’un s’est installé sur une petite table dans la chambre conjugale, faute d’espace calme ailleurs, l’autre s’est mise à vivre sa passion du jardin le jour, et travailler la nuit, sans se rendre compte de l’impact que cela avait sur son sommeil, son humeur et son couple.
Un couple s’est retrouvé à gérer une intendance familiale démultipliée parce que les enfants étaient là.
Le défi à relever pour les couples est de prendre du temps pour évaluer ensemble les attentes et les besoins différents pour chacun dans cette organisation nouvelle.
Un autre s’interrompait mutuellement sur leurs temps de travail , mélangeant ainsi le pro et le perso, du fait de la confusion des espaces non délimités.
Le défi à relever pour les couples est de prendre du temps pour évaluer ensemble les attentes et les besoins différents pour chacun dans cette organisation nouvelle pour pouvoir mettre en regard des réponses appropriées et rendre claire cette situation. Ainsi le couple pourra se réapproprier cette situation qui passera de subie à choisie au moins en partie.
PlaceDuCouple : est-ce que le travail a la même place aujourd’hui ?
Véronique Grimaud : le refuge de la famille fonctionne bien dans ce temps d’incertitude. Une femme me disait sa tristesse pendant le confinement de laisser son cocon familial (son mari et ses 2 enfants) pendant qu’elle partait au travail dans les rues désertes de la ville. Pour elle le contraste était saisissant et cela l’oppressait.
De nombreuses personnes réapprennent à vivre en couple, avec des rythmes qui peuvent à nouveau s’accorder : prendre le petit déjeuner ensemble, faire une pause-café commune, cuisiner, s’aérer, etc.
Du coup, du temps d’intimité vient s’intercaler dans la vie de couple, ceci en présentiel alors que jusque là, l’intime pouvait s’immiscer dans la journée de travail en virtuel (textos…)
PlaceDuCouple : comment réagir quand son partenaire perd son travail, ou rencontre des difficultés ?
Véronique Grimaud : la perte de travail, la menace de le perdre ou l’incertitude de pouvoir le garder peut générer de l’angoisse chez celui qui le vit assorti d’une perte d’estime de soi, de confiance en soi, de sentiment d’inutilité. On peut voir aussi ces effets chez ceux qui restent dans une entreprise et qui voient d’autres partir (suis-je vraiment plus compétent qu’eux ? Pourquoi je reste ?).
Cela peut se marquer par une perte de sommeil, une irritabilité, un renfermement. Je pense que le couple a besoin de se rassurer l’un l’autre, de s’assurer de leur tendresse réciproque, de leur amour, de leur amitié, communiquer avec bienveillance, définir des temps où l’on parle de ce sujet, et d’autres où l’on va chercher à faire des activités qui vont permettre de se détendre.
Le couple a besoin de se rassurer l’un l’autre, de s’assurer de leur tendresse réciproque.
Et puis se faire aider, au niveau personnel, épuiser toutes les ressources que l’entreprise peut mettre à disposition dans ce contexte de licenciement et au niveau du couple aller voir une conseillère conjugale et familiale pour se faire aider dans la mise en mots de ce qui se passe pour chacun peut être salvateur.
Véronique Grimaud
Conseillère conjugale et familiale
Facilitatrice en relations auprès des particuliers et des entreprises